mercredi 2 octobre 2013

The Mallard - Finding Meaning In Deference (Castleface Records)

De retour chez lui, il ôta ses chaussures, des baskets confortables et lourdes, et se dirigea directement vers le réfrigérateur. Il se servit une bière, et eut immédiatement envie de combler le silence, de se vider la tête, de se la vidanger. La journée avait été difficile. Il ne s'y ferait jamais. Et forcément, personne à la maison. Nobody. Niemand. Pourquoi y aurait-il quelqu'un ? Qui pourrait supporter un type comme lui, insomniaque, flic et semi-alcoolo ? Elles ne s'attachaient jamais très longtemps. Horaires trop irréguliers, jamais là quand il fallait, trop de violence, plus ou moins contenue.

Il se dirigea vers sa chaîne hifi. Il hésita au moment, crucial, du choix. Les quelques polars qu'il avait lus l'avaient bien fait rire : les flics avaient toujours des goûts très sûrs, très pointus. Du jazz machin avec Tartempion à la trompette, ou du classique, surtout la symphonie numéro truc et surtout une capacité à connaître le solfège, le vocabulaire, tout le tintouin. Des flics comme ça, il n'en avait jamais rencontrés... Comme partout, la masse écoute ce qu'on lui met entre les oreilles, à la radio. Et lui, son truc, c'était tout autre chose.Ses doigts couraient le long des vinyles dans les bacs, les faisant rapidement basculer vers l'avant pour voir la pochette du suivant. Cut, des Slits ? Déjà trop écouté. Un bon vieuxDevo, bien tordu ? Mouais... Les B 52's ? Il aimait bien ce type de voix, mais il avait envie de quelque chose de plus sombre, de plus tourmenté, de classieux aussi. De plus post-quelque chose. Il aurait bien aimé la synthèse de tout ça, quelque chose de plus récent. C'est du côté de Castleface Records qu'il mit enfin la main sur ce qu'il cherchait : "Finding Meaning In deference", de The Mallard.


Il appréciait ce moment. La manipulation de l'objet. Saisir d'un geste sûr. Faire glisser le disque hors de sa pochette protectrice en le saisissant entre le majeur et la base du pouce.Le poser sur la platine.  Prendre le bras et le poser en essayant de ne pas trembler. Presque un rituel. Alors que le diamant léchait le vinyle de toute sa douceur aiguisée, il s'alluma une cigarette en attendant les premières trépidations. Les notes s'élevèrent dans l'atmosphère de cette pluvieuse nuit d'été. Il ferma les yeux. La gamine, dans la cave. La passivité dans le regard des parents qu'on embarque. La misère de ce quartier décati. L'atmosphère de défiance.



La basse attaqua d'entrée. A Form Of Mercy. Un titre évocateur de ce qu'il ressentait. L'étrange joie malsaine de The Mallard, ces transes débridées et bancales lui allaient bien. Puis s'allumèrent les bougies de cristal. Crystal Candles. Une montée répétitive, une guitare (vraiment ?) qui finit par occuper une place prépondérante, assourdissante, tandis que la mélopée s'accélérait et se crispait. La deuxième bière fit un appel du pied. Apaisement avec The Warm of Youth, bien que le rythme ne baissât pas d'un iota. Des voix qui s'achevaient en boucle, pour un effet perturbant. L'hypnose survint avec The Math, le groupe semant le trouble chez l'auditeur. C'était ce qu'il aimait : qu'on l'emmène loin de tout ce sordide qu'il connaissait ici. Qu'on sublime le sale pour l'emmener vers l'étrange. Oublier ce qu'il y a dehors, derrière la porte. Out Of The Door. En voilà, de l'étrange. Qui donne envie de se réfugier dans son cocon. Va pour la deuxième bière. Après tout, la musique de The Mallard vaut bien un peu d'ivresse. En écrasant son énième clope dans le cendrier, il retrouva les vestiges d'un vieux joint. Et puis merde, de toute façon. La fumée blanche s'éleva dans l'appartement, ses volutes se mêlant à celles de la musique, l'ensemble l'emmenant enfin vers les berges de l'apaisement. Il avait besoin de tension, de torsion dans la musique pour se sentir bien, et ça l'étonnait toujours. Cela le fit sourire.


Les derniers morceaux s'enchaînèrent sans qu'il n'y prête attention. Il se concentrait. Ses pensées se clarifiaient. Retour à la normale. La jauge indiquait le plein. Il allait pouvoir régler ses comptes.

NicopointG

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1 commentaire:

  1. Une petite fable bucolique parfaite pour une soirée pluvieuse, vraiment... j'ai fait péter la bière aussi, pour me mettre au diapason ! Ou pour oublier que je commence à m'habituer à ces petits airs 'débridés et bancals'...

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