jeudi 26 septembre 2013

Jessica 93 (Teenage Menopause) - Who cares

Jessica 93 est un one man band originaire de Bondy (dans le 93, donc). À la question de l'origine du nom de son projet solo, Geoffroy Laporte s'amuse à varier les réponses, d'un « si j'avais été une fille, ma mère m'aurait appelé Jessica » à un « Jessica, c'est mon pseudo quand je sors dans les bars gay, 93 c'est mon tour de poitrine ». Et vlan, ça nous apprendra à vouloir jouer les curieux !
Foin de l'enrobage donc, car si le nom Jessica 93 éveille, certes, la curiosité, sa musique, elle, retient l'attention en beauté ! Dès la première écoute de « Who Cares », la magie – noire – opère. On aurait même tendance à regretter que l'album, comme les Fingers du sieur Cadbury, ne fût un peu plus long, bien qu'avec ses six titres, il forme un ensemble cohérent de presque quarante minutes. Ne pas hésiter à abuser de la touche repeat !


Transporté dès l'ouverture – quoi de surprenant avec un morceau intitulé « Away » – dans l'univers sombre et envoûtant d'une cold wave épicée d'influences variées, de la noise post-punk à la new wave en passant par l'indie rock US (de l'aveux même de Geoffroy). Vous l'aurez compris, la musique de Jessica 93 ne se laisse pas aisément résumer, ne s'embarrasse pas d'étiquette et ne mérite aucunement qu'on la fourre à la va-vite dans une case étriquée.
Les guitares sont âpres, denses, crades. Les basses puissantes, lancinantes, hypnotiques, notamment sur l'excellent « Sweat Dream » instrumental à l'atmosphère tout droit sorties des enfers. Les boîtes à rythmes et la réverb' voix sont savamment dosées. Le chant, alternant le français et l'anglais, est discret mais bien présent et ajoute à la noirceur ambiante son côté désincarné. Du sombre donc, oui, mais d'un noir flamboyant comme les reflets de l'obsidienne.


Côté technique, qui dit one man band dit contraintes matérielles. Eh oui, le gars n'a que deux bras ! Armé de sa pédale loop, il plaque ses rifs, tantôt tranchants, tantôt saturés, sur des boucles de basse ou de guitare. Shoegaze, rythmes envoûtants et mélodies à l'efficacité imparable, « Who cares » assène un son puissant et frénétique, à en réveiller l'épilepsie de Ian Curtis. Un album aussi sombre que lumineux. Résolument addictif.



Marlène.T

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mercredi 25 septembre 2013

Crocodiles - Crimes of passion (French Kiss Records)

Crocodiles ne serait-il pas le nouveau Jésus and Mary Chain ?
Possible, ce quatrième LP des Californiens de Crocodiles est fortement influencé par le groupe des frères Reid (avec la West coast et le Velvet en plus). Dix titres psyché/surf hautement mélodiques et pas un de plus. Ces gars-là vont droit au but.
Ce qui frappe à la première écoute, c'est ce que sous ce bordel de guitares fuzz, d'harmonies vocales, et de tambourins, on retrouve systématiquement une mélodie pop cachée et addictive. Et la formule fonctionne.
L'écriture de "Crimes of Passion" est soignée, plus de la moitié des titres pourraient assurer sans problème le rôle de single. Alors bien sur ce n'est pas la révolution de la décennie, mais ces mecs connaissent la formule, font le boulot et le font bien.Entre pop/surf song (Marquis de Sade ou Virgin), et des titres plus animal façon 13th floor elevators (Cockroach ou Heavy metal Clouds), le groupe tisse un pont virtuel entre l'Angleterre et la Californie. Les guitares acides se mêlent aux orgues vintage et aux chœurs noyés dans une réverb omniprésente. Mention spéciale pour She splits Me Up qui aurait pu figurer sur le premier Stone Roses une vingtaine d'années plus tôt.C'est avec cette manière d'écrire si anglaise que Crocodiles démontre son art de recouvrir ses obscurs garages songs d'une couche pop plus lumineuse. Comme l'accouplement du Velvet Underground et de My Bloody Valentine. 


La seule faute du disque, à mon sens, pourrait être le mix. Non pas qu'il soit foncièrement mauvais, au contraire, mais à vouloir systématiquement «sonner comme du vieux» sur tous les disques, attention à ce que la personnalité artistique du groupe ne se retrouve pas bouffée par une production trop typée. Le vintage doit avant tout se vivre et moins être une mode. Le GROS point fort du disque est la qualité des morceaux, dans leur écriture, leur construction. Le groupe raconte sa vie dans ce disque et cela se ressent même sans traduction. Ultra efficace sur l'album, ils passeront sans problème en live sur une scène underground d'un club de la côte Ouest. Pas complètement garage, mais trop instinctif pour de la musique britannique. Avec ce "Crimes of Passion", Crocodiles devient le plus anglais des groupes psyché américains et signe un album honnête et assez efficace pour les faire passer en vitesse de croisière.
Guillaume ANDREA

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Site officiel: http://killkillkillcrocodiles.blogspot.fr
Label: http://www.frenchkissrecords.com
 

mardi 17 septembre 2013

The Future Primitives (Voodoo / Groovie Records) - Into the Primitives

« Écoute Maurice », dit un jour mon voisin Robert à son beau-frère, qui s'appelait justement Maurice, à l'époque puissamment angoissée par l'imminence manifeste de son décès pronostiqué par le cancérologue du coin, particulièrement lucide sur ce coup-là. « Écoute Maurice », donc, « la mort, je commence à en avoir plein le cul ». Bon, vous commencez à connaître Robert, sa rhétorique est toujours du plus bel effet en société. Fulgurante. À sa décharge, Maurice venait, il est vrai assez souvent se décharger la conscience d'interrogations légitimes vis-à-vis du trépas. Et Robert, lui, comme vous le savez, préfère nettement penser à comment réussir à tringler la sœur de Maurice plutôt que de se faire des nœuds dans la tête avec ces histoires de je vais clamser et j'ai peur. Quelques godets d'apéro maison et c'est parti, Cicéron peut aller se rhabiller, la machine à penser s'est mise en marche. La mort peut donc remplir un rectum à s'en faire déborder l'anus.
Et si ? Et si j'avais dû à ce moment précis aller chez Robert, un disque sous le bras, afin de lui démontrer que la mort, c'est assez riche pour ne pas s'en lasser. Mh... Opération suicide version kamikaze à la ceinture d'explosifs, objecteriez-vous. Que nenni ! Je crois que j'aurais choisi le dernier album des futures Primitives. Drôle de choix, me diriez-vous. C'est un choix, vous rétorquerais-je. Surtout qu'il y aurait eu paradoxe temporel puisque je vous parle d'un temps lointain où Raymond Domenech avait encore quelque crédit en tant que sélectionneur d'équipe de France, tandis que Into the Primitive n'est à cette heure pas encore disponible. OK. Acceptons, je vous prie, le principe de l'uchronie, sinon on ne s'en sortira pas. Pour information, Robert ne connaît pas l'uchronie. Robert, le dictionnaire, pas mon voisin. Robert mon voisin, lui, est une uchronie perpétuelle. Tenez, il croit encore que c'est normal de tuer les cochons avec des grands couteaux. Bref.
Visualisons la scène : flanqué de Maurice, petit et frêle dans son costume de sursitaire, et de la Janou, la sœur de Maurice, Robert aurait trôné au fond de l'impasse, fier comme un pape dans son débardeur vert XXL siglé Tropic Banana et illustré de quelques fruits du même nom, les avant-bras posés sur la table pliante en formica, ses énormes mains occupées à écosser quelque flageolet et m'auraient interpellé avec sympathie :
 - Alors ? C'est quoi dont qu'tu trimballes là ?
M'interrogeant in petto quant à la légitimité de mon probable coup d'éclat, pas bien rassuré, j'aurais probablement bafouillé :
 - Euh, ch'tai entendu, d't'a l'heure, et c'était heu pour te dire que la mort, hé ben ça peut êt' cool.
Un froid s'installe immédiatement. Le temps se suspend. Dans une impasse brûlée par le soleil, à l'abri de tout souffle éolien, une goutte de sueur coulant le long d'une tempe est le seul mouvement perceptible. Une main épaisse chasse négligemment une mouche posée sur un menton mal rasé. Maurice sait qu'il va mourir, et ça lui fait de peine d'entendre des conneries pareilles, il va pas tarder à se mettre à gueuler. La Janou, faut pas toucher à son frangin, sinon ça va chier. Donc, ça va chier.
Et Robert, lui, il a peut-être pas bien compris, alors il demande :
 - Ah bon ?

Je n'ai pas droit à l'erreur. Il faut que j'enchaîne immédiatement, sinon c'est foutu, ils vont gueuler trop fort, je ne pourrai plus faire entendre ma magistrale démonstration. D'un geste vif, je me saisis du disque qui était, rappelez-vous, sous mon bras et je bloque toute velléité de leur part en interposant la pochette du 33 tours que voici : trois jeunes gens, côte-à-côte, chacun le visage dissimulé par un crâne décharné très manifestement humain qu'il tient de ses deux mains. Au dessus, comme gribouillé vite fait, le nom du groupe et le titre du disque. Maurice déglutit parce que merde, quand même. Robert se demande à quel moment il a commencé à plus rien comprendre. La Janou monte en pression, la jauge est dans le rouge. C'est le moment que choisit Gilbert, le fils de l'un et par conséquent neveu des deux autres, pour se pointer, protubérance abdominale lipidique en avant et regard charolais, les mains coincées dans les poches de jean's trop serré. Notons que ce personnage, de par son indigence existentielle, ne jouera strictement aucun autre rôle quant au dénouement de la scène qui se déroule au ralenti sous nos yeux anxieux.


La pochette, donc, les scotche. Les premières trépidations rythmiques du titre éponyme, Into The Primitive, claquent dans l'air chargé d'ozone. Poum tap poum tap poum tap poum tap ; une série de larsens et c'est parti pour la grosse calotte, fuzz et mélodies imparables, voix déchirée, saturée, couinements lors du refrain, trois notes sonores en guise de leitmotiv, un solo qui dégénère en magma, prenez ça dans la gueule les voisins.
Puis ça enchaîne sur du garage punk au son de guitare sec comme les couilles à Taupin (Girl Like You, expédiée en moins d'une minute trente, ou encore You Lied), de l'arpège surf (In and Out, faut-il y voir une connotation sexuelle à destination de Robert ?), des morceaux tout en tension émotive (Every Night) que n'auraient pas reniés The 13th Elevators période Psychedelic Sounds, ou The Seeds version Try to Understand, ce qui est un compliment, ce dernier exemple étant pour moi une des plus grosses tueries du rock'n'roll. Bon, je ne vais pas vous en faire la liste, le reste est à l'encan, avec des hauts et des bas, sans trop de surprise hormis celle d'avoir dans les oreilles une telle maîtrise de la composition et des passages obligés du surf-garage-psyché. Un petit bémol, cependant : la perte de puissance due aux solos. Ben oui, y'a pus d'guitare, rhôô ben merde, y peut pas tout faire.


Tout ça pour dire que mes voisins se prennent donc une bonne avoinée dans les oreilles, pendant 37 minutes, ils ne peuvent pas dire de conneries et moi j'ai écouté un putain de bon disque, j'en reviens toujours pas. Je n'ai probablement pas persuadé mes interlocuteurs de la pertinence du décès, encore que Maurice ... Il est peut-être convaincu que la mort, ça peut être de la bombe. Mais allez savoir... ça fait un moment qu'on n'a plus de nouvelles.

Nicopoint G


lien

labels :
Groovie Records : http://www.groovierecords.com/


mercredi 4 septembre 2013

Georgiana Starlington (Hozac Records) - Paper Moon

Brigitte Bardot et Lady Di sont intellectuellement déroutantes. Remarquez, je ne leur demande pas de penser, j'attends d'elles qu'elles pondent. Brigitte Bardot et Lady Di sont des poules. Mes poules. Une orpington et une Bressane, très exactement. Mais sont-elles réellement stupides ou font-elles preuve d'un instinct de survie assez surprenant chez cet animal que l'on ne rencontre que très rarement à l'état sauvage ? Tenez, l'autre jour, j'ai négligemment jeté aux pattes de Lady Di et de Brigitte Bardot des têtes de poissons fraîchement pêchés. Diantre. Quel étrange ballet autour des intrus dans l'enclos ! Et va-y qu'elles mettent un coup de bec en vitesse pour voir si ça bouge, mais en même temps, ces yeux qui les fixent leur font peur, elles en oublient que leurs lointains ancêtres faisaient régner la terreur dans les clairières de l'extrême fin du crétacé et se réfugient sous l'ombre protectrice des framboisiers proches. Et puis reviennent. Et recommencent. Cette chorégraphie dure un temps suffisant pour permettre à l'observateur avisé de se lasser et d'aller voir s'il n'y avait pas plutôt des œufs, parce qu'on n'a pas que ça à faire, yen qui bossent, non mais, ou alors un apéro chez Bébert...
Hé bien figurez-vous que je me retrouve dans le rôle d'une poule, ce qui n'est pas franchement confortable : Rock à la casbah, afin de remplir sa boîte à œufs casbah Chronicle, a jeté des têtes de poissons dans mon enclos. Et depuis, comme Brigitte Bardot et Lady Di, je tourne autour. Je mets un coup de bec et je vais me cacher dans les fougères. Je cherche à comprendre. Je tente d'en définir le goût et la dangerosité. Et puis ces yeux qui me regardent m'effraient.
Ainsi, Georgiana Starlington. Côôôôt... Un coup de bec : qu'est-ce que c'est que ça ? Ça a plutôt bon goût... Côôôôt... Autre coup de bec : on dirait du Leonard Cohen (Louise Louise)... Côôôôt... On croirait du Bad Seeds version Murder Ballads (Brave Wolf). Côôôt... Oh mais ça a des airs de Chris Isaac féminin (Dry as A. Bone). L'atmosphère très éthérée créée par la voix de Julie Hines n'est pas sans rappeler Mazzy Star (Days of Heaven). Les questions se bousculent : c'est quoi ce groupe avec un nom de fille alors que ce n'est pas seulement une fille qui chante, mais un type aussi, et super souvent, en plus. Remarquez, ils ont l'air de bien s'entendre. Pour le néophyte en folk, en country et autres musiques plus ou moins acoustiques, il est assez difficile de se risquer à décrire sans heurter la sagacité du connoisseur spécialiste es- guitare qui ne fait pas de bruit. Il y a toujours le moyen de dire que c'est plutôt pas mal, ce qui peut passer pour un compliment. Mais ça n'est pas suffisant, puisque cet album, Paper Moon, a retenu mon attention dès la première écoute et le très accrocheur morceau d'ouverture, Hard Grave. Les morceaux s'enchaînent ensuite, très apaisants, même si certains sont fatigants de niaiserie musicale (The Océan, pompeux même dépourvu de violons)... Certains jours, il peut apparaître que, progressivement, trop de langueur tue l'attention et donne sérieusement envie de dégainer sa tronçonneuse thermique et de la brandir la nuit du solstice d'hiver, nu dans une école désaffectée plantée sur un plateau battu par les vents du Nord qui n'apportent que froid et le désespoir. On a envie que ça envoie un peu du bois, quoi.
Peut-être ne suis-je pas encore prêt pour ce genre d'expérience ? Pourtant, Georgiana Starlington est composé de Jack et Julie Hines, membres de K-Holes, ce que je n'aurais jamais deviné seul tellement l'ambiance est radicalement différente, tu m'étonnes, j'ai vachement moins les oreilles qui saignent, et pour au moins l'un d'entre eux, ancien des Black Lips, histoire de dire que l'on n'est pas face à des tocards. Donc, en conclusion, Georgiana Starlington est un groupe de musique calme avec des guitares qui font dling au lieu de faire dvvvvvvvvvvvvv, avec des gens de sexes variés qui chantent de manière douce, environ une douzaine de morceaux, plutôt bien troussés, et au kiffomètre gallinacée, équivalant aux pépins de melon, c'est peu dire.
NICOpointG